Mais comment faisaient donc Ravel et Messiaen, dont on sait qu’ils prenaient en dictée les chants d’oiseaux ? Nul doute qu’avec leurs seules oreilles, même exceptionnelles, ils ne pouvaient pas tout transcrire.
En effet, bien que les humains et les oiseaux soient sur des fréquences auditives assez similaires, l’oiseau, beaucoup plus petit que nous, a un coeur qui bat beaucoup plus vite que le nôtre et des réactions nerveuses beaucoup plus rapides. Son ouïe est d’une sensibilité extrême, avec laquelle nous ne saurions rivaliser. Il chante dans des tempos extrêmement vifs et dans des registres extrêmement aigüs auxquels les oreilles humaines, même les plus performantes, n’ont pas toujours accès.
A partir des années 30, l’avénement du magnétophone transportable dans la nature permet à Olivier Messiaen de transcrire et d’étudier en profondeur les chants d’oiseaux pour construire un nouveau langage musical. Malgré cela sa tâche n’est pas aisée, et il reconnait être contraint d’écrire « des stylisations proches de la réalité ornithologique, mais néanmoins des transpositions à une échelle humaine, avec la perte que cela implique ».
Pour vous donner une idée de la rapidité d’un chant d’oiseau, voici l’extrait d’un chant de rouge-gorge familier à vitesse normale, puis 4 fois moins vite :
Si l’on entend plus tranquillement les quatre premières notes qui se rapprochent beaucoup de Fa#-Ré-La-Mi, la suite, même ralentie, reste difficile à appréhender. Il s’agit d’une suite de jeux vocaux virtuoses, trilles, glissandos, cascades, roulades… Les ralentir encore dégraderait considérablement le son et l’on finirait par ne plus trop savoir ce que l’on entend. Quant au rythme, il va sans dire que l’oiseau défie toute mesure fondée sur des valeurs simples. Il s’exprime plutôt sur un rythme « fractal », qui correspondrait à beaucoup de rythmes de la nature : écoulement de l’eau, sons du vent, structures végétales et minérales telles que la feuille de fougère ou les motifs de certains coquillages.
Il n’est dès lors pas très étonnant que la transcription des chants d’oiseaux ait présenté de grandes difficultés pour les premiers naturalistes, dont la pratique s’est beaucoup développée à partir du 17e siècle. Les musiciens s’en sont tirés plus facilement, qui jusqu’au 20e siècle ont presque tous évoqué les oiseaux sur un plan poétique et symbolique, peu soucieux d’une fidélité à la pure réalité.
« Oiseaux tristes » de Maurice Ravel, une des plus belles pages du répertoire pour piano, est à la frontière de ces deux courants, introduisant un certain réalisme dans cette évocation hautement poétique. A 1 mn 28, on peut entendre le brusque envol des oiseaux, qui précède la reprise du chant solo de la grive.
Depuis le développement des techniques d’enregistrements et de la MAO, les chants d’oiseaux sont-ils un moins grand défi pour l’oreille des ornithologues et des compositeurs ? L’enregistrement a permis aux uns de sortir des guides audio d’espèces du monde entier, aux autres d’utiliser directement ce nouveau matériau pour l’intégrer dans leurs compositions, en le transformant plus ou moins.
Mais qui dit enregistrement dit sons fixés, et rien n’est moins fixe que le chant des « oiseaux chanteurs ». Leur art n’est pas inné, ils apprennent à chanter tout au long de leur vie et enrichissent leur vocabulaire peu à peu. Loin de se répéter, ils varient leur chant selon les circonstances, les lieux et les saisons, les variations possibles sont donc infinies.
Certains oiseaux intégrent même de nouveaux motifs entendus chez d’autres espèces qu’ils ont croisées ici ou là, et c’est sans doute l’oiseau lyre qui va le plus loin en ce domaine, lui qui imite à la perfection même les sons de la technologie humaine ! Et il semblerait que pour lui, ce soit un jeu d’enfant.
Sources : « Le chant des oyseaulx » d’Antoine Ouellette, 2008, éditions Tryptique, « les oiseaux sont-ils musiciens », conférence de Vinciane Despret à la Philharmonie de Paris, mars 2022.